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Embarqué dans une valise d’été, en Livre de Poche pour ne pas enrichir trop sieur Jacques Attali, « Une brève histoire de l’avenir », prospective du possible des cinquante prochaines années. Attali fait du Attali, c'est-à-dire que c’est souvent brillant avec des références statistiques nombreuses, mais les conclusions manquent parfois d’argumentation. Elles « se suffisent d’elles mêmes », comme le monsieur, alors qu’elles sont très discutables et n’ont rien d’une parole révélée. Relever des tendances est une chose, les tenir pour causes de conséquences quasiment inéluctables en est une autre.

« Une brève histoire de l’avenir » est en sept parties, dont cinq plus particulièrement prospectives. La première partie revient rapidement sur la très longue histoire de l’humanité. La seconde retrace une brève histoire du capitalisme, fondement du « progrès » pour l’auteur, se recoupant avec la naissance d’un ordre individualiste. L’ordre marchand aurait structuré le développement de l’humanité et des sociétés, bâti des cœurs qui ont irrigué une périphérie avant de subir des mutations. Forme après forme, le même mécanisme s’est répété et le cœur ponctuel de l’ordre marchand d’une époque laisse la place à un nouveau cœur, place rivale… Depuis les Grecs, les Phéniciens et les Hébreux il y a plus de 3000 ans, jusqu’à Los Angeles aujourd’hui (pour combien de temps ?) en passant par Bruges, Venise, Anvers, Gênes, Amsterdam, Boston, New York.

La 3ème partie est à demi prospective, avec la fin de l’Empire américain, la fin de la 9ème forme. Pas plus riche qu’« Après l’Empire », Attali confirme ici ce qu’avait démontré Emmanuel Todd dans son essai il y a six ans.

 

La véritable prospective de cette brève histoire de l’avenir  commence avec les trois parties suivantes, qui sont pour Attali des vagues successives de l’avenir. 1ère : l’hyperempire, 2nde : l’hyperconflit, 3ème : l’hyperdémocratie.  Remarque liminaire, la disproportion de la description de ces trois vagues : 45 pages pour l’hyperempire, 44 pour l’hyperconflit, et seulement 23 pour l’hyperdémocratie.  L’ancien sherpa de Miterrand paraît comme sec et fait court, sur le concept de démocratie mondiale. Surtout, il juge nécessaire le passage par l’étape de l’hyperempire, puis par l’hyperconflit, pour faire advenir l’hyperdémocratie. Sans le démontrer, il pose le « bien, après le marché et la guerre. Jupiter après Quirinus et Mars ».

Il renvoie dans quarante ou cinquante ans, l’émergence des « transhumains » qui considèreront que « le profit ne sera plus qu’une contrainte et non une finalité ». Des « transhumains » qui seront « altruistes, citoyens de la planète, nomades et sédentaires à la fois, égaux en droits et en devoirs à son voisin, hospitaliers et respectueux du monde, … ». Des « transhumains » qui seront les acteurs de l’économie relationnelle, au-delà d’un nouvel équilibre mondial entre marché et démocratie… Alors que les conditions (et la nécessité) sont aujourd’hui réunies pour faire émerger cette nouvelle classe de créatifs, Attali propose l’hyperempire et l’hyperconflit comme futur proche, avant d’en venir à avenir « souhaitable » !

J. Attali préfère pousser le monde jusqu’au fond des impasses de l’ultra-capitalisme, des guerres commerciales et d’influences qui caractérisent l’hyperempire, pour les prochaines décennies. Il propose même d’avancer plus vite vers cette fin, en adaptant notre économie, notre société,  par la rendre plus compétitive dans l’ordre de l’hyperempire. Toujours plus pour ceux qui ont plus, pour cristalliser la révolte d’où naîtra l’hyperdémocratie, comme si l’homme ne pouvait grandir que dans la crise et qu’il faille aller jusqu’au point de rupture. Aller jusqu’à la disparition progressive des Etats, des services publics, faciliter la progression du marché, …, pour affirmer en conclusion que l’hyperempire échouera, « se fracassera sur la rive », est un drôle de remède, docteur Attali !

Avec les disproportions de plus en plus grandes dans la répartition mondiale (et locale) des richesses comme conséquence de l’hyperempire, la période de l’hyperconflit apparaît dès lors comme inéluctable. Armées régulières, armées pirates et corsaires, mercenaires, surveillance des populations autant pour le marché que pour la sécurité, ghettos pour riches et pour pauvres, conflits sociaux exacerbés et guerres économiques, guerres de la rareté pour le pétrole et l’eau, guerres de frontières, dénationalisation de cœurs de la mondialisation, prolifération des armes de destruction massive, … l’horizon de la période de l’hyperconflit n’est que sombre et violent. Dans la logique de l’hyperempire, là aussi aller jusqu’au fond de l’impasse de la violence, pour réveiller la sagesse pacifique de l’humanité, selon de le docteur Attali !

 

Le livre se termine (se referme) sur un horizon bien limité, celui de la France. Comme si ce grand commit de l’Etat ne pouvait s’empêcher de délivrer une ordonnance nationale. C’est le canevas du rapport qu’il a remis à Sarkozy. Selon lui, sans ces réformes, le déclin de la France, déjà amorcé, ne ferait que s'accentuer. La France doit courir plus vite vers l’hyperempire, remporter d’avantage de succès dans la compétition de l'hypermarché mondial.

 

Ce conseiller des rois (Mitterand, Sarkozy), ce complice des grands capitalistes mais aussi le promoteur du micro-crédit (PlaNet Finance), est-il si confortablement inséré dans les mécanismes de la société contemporaine, pour ne pas prôner la révolte dès aujourd’hui ? Pourquoi se fait-il le chantre d’un avenir sombre (aller au bout des impasses de l’hyperempire et de l’hyperconflit), alors qu’il faudrait canaliser toutes les bonnes énergies pour faire émerger dès maintenant une déclinaison de l’hyperdémocratie ? A-t-il encore tant à gagner, pour vouloir perpétuer des tendances et ne pas prôner la résistance, la réforme progressiste qui nous éloignerait des voies de l’hyperempire et de l’hyperconflit ? Faillit-il dans sa mission d’intellectuel, en jetant une fausse lumière sur l’ordre établi, pour mieux laisser dans l’ombre les chemins d’une sagesse contemporaine efficace et subversive ?

Tag(s) : #heloim.sinclair
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